Le Ghana est un des rares pays qui compte davantage d’entrepreneuses que d’entrepreneurs. Elles pâtissent pourtant d’un cadre traditionaliste. Rares sont les structures et les dispositifs qui soutiennent les femmes.
Penchée derrière son écran d’ordinateur, Amina Kassim fronce les sourcils. Déjà l’heure de partir. Dans un soupir, elle rabat l’écran de son ordinateur d’un coup sec, saisit son sac à main et quitte l’incubateur Impact Hub, situé dans le centre d’Accra. Son travail d’hôtesse dans l’évènementiel l’attend. L’emploi du temps de la jeune femme de 34 ans est réglé à la minute depuis qu’elle a décidé de lancer son entreprise de sacs à main il y a quelques mois. Des accessoires en raphia tressés à Bolganta, une ville du nord du pays dont sont originaires ses grand-parents.
En plus de ses activités dans l’évènementiel, Amina Kassim conseille des femmes dans l’achat de leurs vêtements. « J’essaie de multiplier les emplois pour gagner de l’argent et pouvoir l’injecter dans mon projet », explique-t-elle. Comme plus de la moitié de la population ghanéenne, elle n’a pas de compte en banque et préfère utiliser le paiement par mobile. « Je ne reçois aucun soutien, que ce soit de la part de l’État ou de ma famille, qui n’a pas les moyens. C’est très dur d’être une jeune start-up. »
Des business de nécessité
Les Ghanéennes prennent une large place dans l’économie. Selon une étude, plus de 50% des entreprises sont dirigées par des femmes. « Elles gèrent essentiellement des micro et petites entreprises, pointe William Baah-Boateng, chef du département d’économie de l’University of Ghana. Elles détiennent davantage de business que les hommes, mais leur valorisation est très faible. » Dans le pays, de nombreuses micro entreprises ne sont pas déclarées, donc appartiennent au secteur informel. C’est le cas, par exemple, des vendeurs ambulants aux abords des feux rouges. « Il s’agit de commerces de nécessité pour subvenir aux besoins d’une famille », résume l’économiste.
A la tête d’une grande compagnie de prêt-à-porter féminin qui exporte ses produits jusqu’aux États-Unis, Lucia Quachey a débuté en 1969. Elle vendait des vêtements aux amis, voisins et passants. « A l’époque, je ne savais rien du monde du business. Je ne savais pas qu’il fallait enregistrer l’entreprise auprès de l’administration, trouver un nom, dégoter des partenaires financiers, etc. J’ai appris sur le tas. » Cette expérience lui a donné envie de créer la GAWE (Ghanaian Association of Women Entrepreneurs) dans les années 1990. Cette structure, qui compte aujourd’hui près de 2.500 membres, constitue à la fois un espace d’échange d’expériences et un cadre de formation pour les jeunes entrepreneuses.

Lucia Quachey transmet à sa fille son entreprise de prêt-à-porter, fondée en 1969. – © Marie Desrumaux
Une vision traditionaliste
« La GAWE propose différents programmes payants sur le management, le marketing, ou la façon de trouver des financements », détaille Lucia Quachey. L’association prête également des fonds à celles qui veulent lancer leur business. « Très peu d’emprunts sont accessibles aux femmes en raison de leur rôle de femme et de mère », observe l’entrepreneuse. Dans un pays où les traditions et la religion régit une bonne partie des existences, les femmes sont souvent ramenées à la biologie. « Les prêteurs savent qu’une femme va tomber enceinte, qu’elle travaillera moins pendant neuf mois et cela ralentira l’activité économique de l’entreprise », affirme l’économiste William Baah-Boateng.
Aucune mesure de soutien compensatoire n’existe. « Au moins 40 % des ressources destinées à promouvoir le secteur privé devraient être réservées aux femmes, plaide Lucia Quachey. Il faudrait également un endroit spécifique pour accueillir les entrepreneuses à Accra. » Et puis, la présidente de la GAWE préconise la mise en place d’un pack industriel pour les petites entreprises, à l’instar de ce qui existe pour les grandes compagnies. « Il faut arrêter de négliger les femmes entrepreneuses », affirme-t-elle. Pour Lucia Quachey, le business est la clé de l’émancipation des femmes. « C’est le seul moyen d’atteindre l’égalité, le respect, la justice, assure-t-elle. A partir du moment où une femme gagne de l’argent, elle a du pouvoir ! »
Marie Desrumaux
Photo de une : Amina Kassim à l’Impact Hub. – © Marie Desrumaux
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