En crise, le football ghanéen ne fait plus rêver ses jeunes talents

Le football, sport roi au Ghana, est gangrené par la corruption. A tel point que le championnat national a été suspendu la saison passée. De leur côté, les jeunes joueurs n’ont qu’un objectif : décrocher un contrat professionnel en Europe.


Au cœur du district de Darkuman, à Accra, un chemin en terre slalome au milieu des habitations en tôle et d’une casse automobile. Tout au bout de la piste aux multiples ornières, derrière un grillage de fortune, un terrain stabilisé couleur ocre. L’entraînement n’a pas encore commencé que les jeunes joueurs des Charity Stars s’échauffent déjà autour d’un « toro », un exercice de conservation de balle.

Encerclé par ses coéquipiers, Dela Kanda se bat pour récupérer le ballon. Tous les jours, une fois les cours terminés, il rejoint le terrain voisin à la poursuite de son rêve : devenir footballeur professionnel. « Je veux suivre les traces de mes idoles, Didier Drogba et Samuel Eto’o », glisse le jeune attaquant de 14 ans.

Comme lui, une cinquantaine d’adolescents garnissent les rangs du club du quartier. Fondé en 1992 par un pasteur, Abram Owusu Amoah, le Charity Stars FC offre à ces jeunes un cadre pour progresser. Ils font partie des meilleurs du pays et n’ont perdu qu’une seule rencontre cette saison.

Les Charity Stars à l’entraînement, dans le district de Darkuman (Accra). © Thomas Moulin

S’exiler pour briller

Certains joueurs peuvent entrevoir une place chez les seniors. Quelques-uns atteindront peut-être la Premiership, la première division du championnat ghanéen. « C’est un très bon championnat mais je veux jouer en Europe pour être connu et accéder à un meilleur niveau », explique l’ambitieux milieu de terrain Ernest Amofa-Asamoah.

Aux Charity Stars, les exemples de réussite ne manquent pas. Parmi les joueurs du cru, l’attaquant Emmanuel Boateng a passé deux ans à Levante, dans le prestigieux championnat espagnol, avant de rejoindre la Chine l’été dernier. Le jeune milieu de terrain Eric Ayiah a, lui, signé son premier contrat professionnel à l’AS Monaco. « Il y a beaucoup de recruteurs qui viennent ici, j’espère être repéré et rejoindre une académie à l’étranger », lance Ernest Amofa-Asamoah.

Ces écoles d’entraînement sont aussi très nombreuses dans le pays. « En Europe, les clubs ont créé leur centre de formation. Ici, c’est l’inverse. Les académies ont permis au football ghanéen de se développer », observe Frederick Moore, président des Cœurs de Chêne d’Accra, le plus vieux club ghanéen.

Plusieurs formations européennes ont investi dans le pays, en créant leur propre structure ou en signant des partenariats locaux. Manchester City, le Feyenoord Rotterdam … Ces noms font rêver les jeunes Ghanéens, produits du foot business mondialisé.

La formation, secteur très concurrentiel

Impossible de connaître le nombre exact d’académies dans le pays. Un article paru dans The Observer en janvier 2008 en dénombrait 500, rien qu’à Accra. Un chiffre sans doute exagéré mais qui illustre bien l’ampleur du phénomène.

« Il y a deux façons de voir les choses. Pour les clubs, c’est un problème mais cela procure aussi des avantages. Nous pouvons recruter des joueurs déjà formés. Ces académies sont des modèles dont nous nous inspirons. Pour les Ghanéens, ce sont aussi des emplois et parfois des opportunités de voyager vers une vie meilleure », souligne Frederick Moore.

À la tête des Cœurs de Chêne depuis quatre mois, le président ambitionne de doter son club d’un centre de formation capable d’accueillir les jeunes à partir de onze ans. Tout en étant conscient qu’il ne peut rivaliser avec les Européens : « Nous ne devons pas lutter contre le progrès. On doit permettre à nos joueurs d’évoluer dans les meilleurs championnats. Il n’est pas question de les forcer à jouer pour nous s’ils peuvent s’épanouir dans un environnement européen. »

Ebo Quansah donne les consignes à ses joueurs, lors de l’entraînement des Charity Stars. © Thomas Moulin

Un championnat miné par la corruption

D’autant plus que le championnat ghanéen n’attire pas. Pire, il est à l’arrêt depuis plus d’un an, après le scandale de corruption révélé par Anas Aremayaw Anas. Dans son reportage Number 12, le journaliste d’investigation a mis au jour les commissions occultes touchées par Kwesi Nyantakyi, l’ancien président de la Fédération ghanéenne de football (GFA). De nombreux arbitres ont aussi reçu des pots-de-vin.

Après ces révélations, plusieurs dirigeants ont démissionné et l’instance a été dissoute. « Parmi les défis à relever, il y a bien sûr la corruption, l’un des plus gros problèmes en Afrique, mais notre principale limite est probablement le manque de professionnalisme », estime Frederick Moore, qui espère une reprise du championnat au mois d’août.

L’entraîneur des Charity Stars, Ebo Quansah, garde un goût amer de son expérience en tant que joueur de première division. « Le football au Ghana est très pauvre. Il arrive parfois que les salaires ne tombent pas pendant plusieurs mois et la Fédération ne nous aide pas … C’est pourquoi j’ai arrêté de jouer pour devenir coach. C’était un rêve mais je ne pensais pas pouvoir le réaliser à seulement 24 ans. »

Aujourd’hui, il partage son expérience avec ses joueurs. « En football, tu perds ou tu gagnes. C’est pour cela qu’il est important d’être scolarisé. Sans ça, vous ne pouvez pas jouer aux Charity Stars. » Pour ses protégés, Ebo Quansah voit grand et leur souhaite le meilleur … loin du Ghana. « Je leur conseille de partir en Europe s’ils le peuvent. Là-bas, c’est plus facile d’aller au bout de ce qu’on veut faire. »

Thomas Moulin

Photo de une : Les Charity Stars s’entraînent dur à la poursuite de leur rêve. © Thomas Moulin

 

Retrouvez ci-dessous le reportage tourné auprès des jeunes footballeurs des Charity Stars :

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