Le textile fabriqué au Ghana souffre d’un manque de compétitivité, confronté notamment à la concurrence déloyale des produits de contrefaçon chinois. Le gouvernement tente de réguler le marché pour sauver une industrie en contraction.
Situés en plein cœur d’Accra, les locaux d’Akosombo Textiles Limited (ATL) paraissent bien calmes. Le parking est désert, les entrepôts presque vides. Seul un gardien est posté à l’entrée. Au sous-sol, l’électricité et la climatisation semblent en panne. Un grand bureau reste éclairé, tout au bout d’un couloir aux murs décrépis. C’est celui de l’une des responsables commerciales de l’entreprise, Judith Ana Monte. Elle a un grand cabinet pour elle toute seule.
Quelques vieilles machines à coudre sont entreposées à côté d’un grand comptoir, témoignant de la prospérité passée. Le drapeau ghanéen flotte sur la table en bois qui sert de secrétaire à Judith Ana Monte. En novembre dernier, l’entreprise a été sauvée de la faillite par les pouvoirs publics. Le gouvernement de Nana Akufo-Addo a déboursé pas moins de 17 millions de cédis (2,8 millions d’euros) pour la survie de cet ancien fleuron de l’industrie textile.
Cet investissement s’accompagne d’une réduction d’impôts. Pendant trois ans, Akosombo ne paiera plus de taxe sur la valeur ajoutée, à l’instar des autres fabricants de tissus ghanéens. Un manque à gagner de 40 millions de cédis (6,5 millions d’euros) pour l’Etat. L’objectif est de rendre la production nationale davantage compétitive face aux importations.
Une concurrence déloyale
Le Ghana veut éviter de connaître le même sort que son voisin togolais, qui n’a plus d’usine de textile sur son territoire. Ses ports francs, dans lesquels les importations ne sont soumises à aucune taxe, ont été envahis par les tissus de contrefaçon, majoritairement originaires de Chine. Ces produits ont aussi investi le marché ghanéen, profitant de la porosité de la frontière entre les deux Etats.
« Trois mois après leur conception, nos articles sont déjà imités en Extrême-Orient. Ils utilisent nos labels et nos impressions avant de réussir à refourguer leurs copies dans notre pays, sans payer la moindre taxe », déplore Judith Ana Monte. Pour remédier à ce problème, une autre mesure gouvernementale devrait bientôt être mise en place : l’introduction d’un timbre fiscal pour s’assurer de la légalité des tissus en circulation sur le marché ghanéen.
« Les produits contrefaits sont de mauvaise qualité mais au moins deux fois moins chers, note la responsable des ventes d’ATL. Ils ont vite envahi le marché et les fabricants locaux se sont retrouvés en grande difficulté. Certaines usines ont fermé, d’autres souffrent mais fonctionnent toujours. » L’industrie textile emploie 3.000 personnes, soit dix fois moins qu’il y a dix ans.

China House, au marché de Makola, où les tissus de contrefaçon sont légions – © Thomas Moulin
Une industrie au ralenti
L’usine Akosombo ne fonctionne plus qu’à la demande de certains acteurs institutionnels. Un contrat a été conclu pour fabriquer les uniformes des étudiants du secondaire. « Nous avons la capacité de produire 23.000 kilomètres de textile par an mais en 2018, nous n’avons pas dépassé le millier », déplore Judith Ana Monte.
La société lutte pour ne pas avoir recours aux licenciements. Depuis de longs mois, 609 des 780 employés sont priés de rester chez eux, faute de commandes. D’autre part, les coûts de production s’avèrent trop élevés (ceux de l’électricité notamment) et l’entreprise peine à s’adapter à l’évolution de la demande.
Même constat dans les allées de Makola, le plus grand marché de la capitale ghanéenne. « Le business du textile est en train de s’effondrer. Les tissus locaux sont presque deux fois plus chers que les produits de contrebande. Alors, les gens viennent moins sur le marché et de nombreuses échoppes ferment », observe Nana Okraku Ohene, vice-présidente de l’association des vendeurs de tissus de Makola.
Reportage audio : Sur le marché de Makola, le tissu ghanéen n’a plus la cote
Pour survivre, ces vendeurs s’approvisionnent en produits étrangers, y compris en imitations. « La plupart des articles que vous trouverez ici ont été importés. Les gens préfèrent les tissus locaux, mais à plus de 40 cédis (environ 6,50 euros) le yard (0,914 m) ils ne peuvent pas se permettre d’en acheter, donc on en commande de moins en moins », regrette Nana Okraku Ohene.
Certains vendeurs peu scrupuleux n’hésitent pas à proposer des imitations au prix des tissus originaux pour augmenter leurs profits. « Ils s’arrangent pour importer la marchandise contrefaite, ils font totalement partie du système », déplore Constance Mensah, styliste et acheteuse avertie.
Le pari de la fidélité et de l’authenticité
Les manufacturiers ciblent davantage les classes les plus aisées de la société ghanéenne. Très implanté dans le Golfe de Guinée, le groupe néerlandais Vlisco jouit toujours d’une grande réputation. Un peu plus abordables, les produits de ses entreprises ghanéennes, Ghana Textiles Print (GTP) et Woodin, n’échappent pas à la crise mais peuvent compter sur une clientèle fidèle. « Je connais des femmes qui n’achètent que ça et ne peuvent rien porter d’autre », témoigne Constance Mensah, qui travaille avec ces marques.
Pour lutter contre la contrefaçon, Ghana Textiles Print a intégré dans ses tissus un code-barres crypté, permettant au consommateur de vérifier leur authenticité. À ce sujet, l’entreprise n’a pas souhaité répondre aux questions des Echos du Ghana. De leur côté, les dirigeants d’Akosombo tablent sur un plan de transformation et l’achat de nouvelles machines, comme un graveur à écran numérique et un traceur d’image. Avec l’ambition de rattraper le retard sur ses concurrents et retrouver la recette du succès dans les trois prochaines années.
Constance Mensah, créatrice de mode, donne quelques pistes : « La société ATL doit viser une clientèle plus jeune pour regagner en popularité et pérenniser son activité. Et comme les autres producteurs, elle doit adapter ses prix pour lutter contre les tissus de contrefaçon issus du trafic. » Ces produits illégaux représenteraient aujourd’hui près des trois quarts des ventes de textiles dans le pays.
Thomas Moulin
Photo de une : Une échoppe à Yellow House, l’une des parties du gigantesque marché de Makola – © Thomas Moulin
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