À Accra, immersion dans la décharge la plus polluée au monde

Chaque jour, une centaine de tonnes de déchets électroniques européens brûlent dans la décharge d’Agbogbloshie. Mercure, arsenic et plomb noircissent le ciel d’Accra et empoisonnent l’air.


Des dizaines de carcasses de télévisions, des ordinateurs dépecés, des restes de voitures et d’appareils électroménagers jonchent le sol de la décharge d’Agbogbloshie. Du matin au soir, William désosse des déchets électroniques au rythme du fracas des marteaux. Des fumées noires envahissent les ruelles. L’air y est devenu irrespirable. C’est ici, le long de la rivière Odow, au sud d’Accra, qu’atterrissent chaque année 40.000 tonnes de matériaux électroniques en provenance du port de Tema, à 25 kilomètres de la capitale. Ces déchets voyagent par bateau depuis le continent européen. Un commerce pourtant interdit depuis 1989 par la Convention de Bâle.

C’est à Agbogbloshie que ces déchets entament une seconde vie. Ils sont taillés en pièces, puis carbonisés pour en extraire les métaux précieux. Dans une baignoire campée au milieu des amas de débris, William brûle des radiateurs de voitures. « Nous les posons sur la grille, et le feu fait le travail », montre le jeune homme. Il pointe du doigt le squelette d’un véhicule non loin de lui. Une Hyundai immatriculée au Ghana. Derrière, un mini-van hors d’âge attend lui aussi d’être démonté pour récupérer ce qui peut encore l’être. Dans la baignoire, les radiateurs se disloquent en quelques minutes. William remet le métal qui a résisté aux flammes à son ami Adam. « On remplit ces deux grands sacs au fur et à mesure, un avec le fer, l’autre avec le cuivre », explique-t-il.

Une pollution 100 fois supérieure aux seuils autorisés

Tous les deux sont des « brûleurs ». Ils ont une vingtaine d’années et viennent de la région la plus pauvre du Ghana, au nord du pays. Leurs vêtements sont noirs de suie, ils ne portent ni lunettes ni masque. Seules leurs mains sont protégées par de vieux gants troués. William respire les fumées toxiques d’Agbolgoshie depuis sept ans. « Avant, j’avais un patron, je ne travaillais pas dans cette baignoire, mais sur des brasiers beaucoup plus grands, se souvient-il. La fumée me brûlait la gorge, alors j’ai changé de méthode. »

Dans la décharge, tous inhalent un air empoisonné par le plomb, l’arsenic et le mercure. Selon les statistiques du site State of Global Air de l’Université de Columbia, 15.000 personnes sont mortes à cause des particules présentes dans l’air. La rivière Odow et les nappes phréatiques de la capitale atteignent des taux record de contamination. A Agbogbloshie, la pollution est 100 fois supérieure aux seuils autorisés. Selon l’ONG américaine Pure Earth, l’endroit serait même le plus pollué de la planète.

Gravure de câbles sous gaine pour récupérer le cuivre dans la décharge  – © Muntaka Chasant

Le long du cours d’eau, ils sont des dizaines à secouer des sacs de câbles en feu et à prendre le risque de tomber malades. Dans le bidonville, les habitants attribuent les décès au paludisme. Mais pour les forçats du métal, l’appât du gain l’emporte sur le reste. « Il n’y a pas de vie sans argent, ici on fait du business, peu importe les conditions et les conséquences sur notre santé », raconte Adams. Les « brûleurs » tirent trois euros de chaque kilo de cuivre extrait. Le métal entre dans un circuit opaque et finit entre les mains de compagnies industrielles chinoises, libanaises et indiennes, via des intermédiaires.

Les petites mains de la décharge gagnent en moyenne 175 cédis ghanéens par semaine, soit une trentaine d’euros. La somme est dérisoire mais Adam et William ne s’en plaignent pas. « Nous vivons mieux que dans notre vie d’avant », affirment-ils, tout en restant discrets sur leur passé. Comme eux, des milliers de personnes à Agbogbloshie vivent du marché des déchets électroniques.

Maxime Fourrier et Roméo Van Mastrigt

Photo de une : © Maxime Fourrier

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