Le gouvernement ghanéen veut faire du français la seconde langue officielle du pays. Son objectif : développer les échanges économiques avec les pays limitrophes et multiplier les opportunités d’emploi pour ses ressortissants. Un pari ambitieux, alors que seuls 1 à 5% des Ghanéens sont aujourd’hui francophones.
« Vous voulez des mangues ? » « Tu sais faire le grand écart ? » Neuf élèves sont consciencieusement penchées sur leurs cahiers. Écouteurs dans les oreilles, elles essaient de déterminer si les bouts de phrases diffusés par leur professeur sur Whatsapp correspondent au son [k] ou [g]. « C’est compliqué le français », souffle Ohemaa. La jeune fille de 20 ans étudie la langue de Molière depuis l’école primaire. Elle s’est inscrite aux cours d’été du département de français de l’université du Ghana, à Accra, pour continuer à s’améliorer.
« J’aimerais devenir hôtesse de l’air, voyager en France et au Canada », explique Ohemaa avec un grand sourire. Sa camarade Sefako, étudiante en médecine, a des préoccupations plus locales. « Lorsque je travaille à l’hôpital, il arrive que des patients exclusivement francophones viennent consulter, raconte-t-elle. Aucun des médecins ne parle le français. C’est donc très compliqué de comprendre de quoi ces patients souffrent. » Trois des huit pays francophones d’Afrique de l’Ouest partagent une frontière avec le Ghana, dont le Burkina Faso. En master de langues, Channel souligne : « Il est nécessaire que l’on puisse communiquer avec les habitants de la Côte d’Ivoire, du Togo ou du Bénin. »
Chaque étudiante a déboursé 500 cédis, soit un peu plus de 80 euros et le double du salaire moyen mensuel, pour deux heures de français par jour pendant six semaines. « Même s’ils ne savent pas toujours ce qu’ils feront dans le futur, les étudiants estiment que le français peut leur ouvrir des opportunités et leur offrir un avenir radieux », observe leur professeur, Kome Kouassi Kouaffou.

Cet été, Ohemaa travaille son français deux heures par jour à l’université du Ghana. © Echos du Ghana
Preuve en est, les inscriptions au département de français de l’université ont bondi. Malgré le tarif élevé des cours annuels (l’équivalent de 1.000 euros) plus de 500 étudiants ont suivi les cours de première année en 2018-2019, contre 300 l’année scolaire précédente. Même constat à l’Alliance française d’Accra, où le nombre d’inscrits a augmenté de 20 % en deux ans, bien que le tarif de 60h de cours s’élève à 700 cédis, soit 115 euros. « Ceux qui suivent nos cours veulent améliorer leurs chances d’insertion professionnelle, souligne Daniel Sowah, le responsable des études. Indiquer qu’on parle français sur un CV permet d’accéder à des postes dans le monde des affaires, la fonction publique ghanéenne ou les organisations internationales. »
Une volonté politique contestée
Cette dynamique est encouragée par le gouvernement ghanéen. Arrivé au pouvoir en 2017, le président Nana Akuffo-Addo veut faire du français une des priorités de sa politique. Il souhaite notamment rendre cette matière obligatoire dans les collèges et les lycées, et développer l’usage de la langue dans les services publics. Déjà membre associé de l’OIF (Organisation Internationale de la francophonie) depuis 2006, le Ghana a prévu d’en devenir un membre permanent en 2020, lors du congrès de Tunis. La crise politique en Côte d’Ivoire dans les années 2000 est passée par là. Les cadres ivoiriens qui ont émigré au Ghana ont accédé à des postes clés grâce à leur maîtrise de l’anglais et du français. À en croire la ministre des Affaires étrangères, Shirley Ayorkor Botchwey, le français devrait devenir la seconde langue officielle du Ghana, après l’anglais. L’objectif consiste à renforcer la coopération avec les pays voisins francophones afin de peser davantage en Afrique de l’Ouest.
Mais la francophilisation divise. Pour le rappeur star Okyeame Kwame, fervent défenseur de la langue twi, faire du français la seconde langue officielle du pays est « irrespectueux » envers la culture ghanéenne, riche de plus de 80 dialectes. « Il est déjà assez grave que notre langue maternelle soit la langue d’une autre personne », écrit-il sur Twitter au sujet de l’anglais, importé par les colons britanniques. A l’inverse, la chanteuse multi récompensée eShun soutient cette décision qui faciliterait, selon elle, la mise en place de projets de développement économique et humanitaire dans la région. Elle y voit également un moyen de favoriser la présence d’artistes ou d’acteurs ghanéens dans des productions francophones.
L’image archaïque du français
Actuellement, seulement 1 à 5% de la population est francophone, selon plusieurs estimations. En général, les Ghanéens frissonnent quand ils se souviennent de leurs cours de français à l’école primaire. Les professeurs avaient la réputation de manier aussi bien la craie que le bâton, surtout dans cette matière difficile. Encore maintenant, l’apprentissage se résume souvent à la récitation de poèmes désuets et à un examen écrit. Autre problème, les moyens manquent cruellement pour concrétiser les ambitions du gouvernement. « C’est bien beau de proclamer que le Ghana va devenir un pays bilingue, mais s’il n’y a pas de budget pour enseigner, que faire ? » s’interroge Daniel Sowah, de l’Alliance Française. Le ministère de l’Éducation ghanéen estime qu’environ 6.000 enseignants de français supplémentaires seraient nécessaires dans le primaire et le secondaire.
De son côté, la présidente de l’association Alumni France-Ghana, Florence Vanderpuye, prône un apprentissage de la langue axé sur la pratique orale et la confiance en soi des élèves. Cette ancienne professeure de français ghanéenne, devenue agricultrice, nourrit plusieurs projets avec les 300 membres actifs de l’association : organiser des rencontres dans les écoles rurales et convaincre les élèves d’opter pour le français au collège puis au lycée, voire de partir étudier dans un pays francophone. “Nous devons absolument améliorer la qualité de la formation des enseignants, souligne-t-elle. Il faut que le français sorte de son statut de ‘langue à examen’ et devienne une vraie langue vivante au Ghana.”
Yann Fournier-Passard et Marie Desrumaux
Photo de une : © Echos du Ghana
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.