À Accra, dans le bidonville d’Agbogbloshie, les déchets électroniques venus d’Europe sont brûlés et leurs métaux revendus. Les habitants respirent des fumées toxiques et sont abandonnés à leur sort. Le père Subash, qui tient une clinique dans le quartier, lutte pour sauver ces damnés de la croissance.
« Plus de 100.000 personnes vivent là, tout autour de vous. Faites attention à la cohue, les allées sont bondées. » Le père Subash fend la foule de sa démarche tranquille, son sac de voyage aux multiples poches sur le dos. Le long de la rivière qui traverse Agbogbloshie, un quartier de la capitale du Ghana, se trouve l’une des plus grandes décharges de déchets électroniques du monde. 40.000 tonnes d’ordinateurs ou de téléviseurs y sont déposées chaque année. Les composants sont brûlés pour en extraire leurs précieux métaux. Des fumées toxiques s’engouffrent dans les rues de ce gigantesque dédale.
Au fin fond de ce bidonville, derrière les étals surchargés des innombrables marchés de ce quartier d’Accra, se trouve la « City of God » du père Chittilapilliy Subash : une petite clinique et une crèche. Devant la porte, des poules déplumées picorent des morceaux de plastique. Des carcasses assaillies par les mouches cuisent non loin, au soleil. Dans ce minuscule complexe scolaire et médical, les habitants du quartier peuvent laisser leurs enfants en bas âge apprendre la couture et l’anglais ou se faire soigner.
Ni eau ni électricité
« Avant, il n’y avait pas de clinique. Les gens allaient à la pharmacie et se gavaient de médicaments sans savoir ce dont ils souffraient », se souvient le père Subash. Le prêtre indien a lancé la construction de ce dispensaire rudimentaire il y a plus de deux ans. Un bâtiment de fortune qui n’est relié ni au système électrique, ni à l’eau courante. À l’intérieur, un médecin et deux infirmières accueillent les malades. Dans le bidonville, c’est le seul lieu permettant de recevoir une expertise médicale.
Le père Chittilapilliy Subash n’a pas toujours habité là. Il intègre dans sa jeunesse l’ordre des Missionnaires de la Charité, la congrégation religieuse de mère Teresa. Il travaille plus de 20 ans à ses côtés. Le natif de Calcutta est missionné à Los Angeles, Mexico, Rome. Ses œuvres de charité le mènent à Kumasi pendant trois ans, au nord du pays, puis à Accra, où il rencontre le vieux prêtre italien d’Agbogbloshie, malade et fatigué. Très vite, il reprend son flambeau et se donne pour mission de s’occuper des habitants.

La clinique du Père Subash reçoit des malades ou des brûlés. © Père Subash
Dans la clinique du catholique de 62 ans, le mobilier est sommaire. Pour recevoir la quarantaine de patients quotidiens, un simple bureau. Derrière celui-ci, des rideaux verts un peu pâlots abritent une table d’auscultation. Quelques armoires chichement remplies conservent les médicaments restants. Ici, les soins sont gratuits. Seul l’enregistrement à la clinique reste payant, pas plus d’un cédi ghanéen (15 centimes d’euro).
Le lieu le plus pollué au monde
« Quand les gens meurent, on dit tout le temps : ‘C’est la malaria‘. Cette réponse est devenue une expression. En réalité, il s’agit les fumées toxiques », pointe le père Subash. Selon un rapport de l’ONG américaine Pure Earth publiée en 2013, Agbogbloshie est le lieu le plus pollué de la planète, devant le site nucléaire de Tchernobyl. Les enfants sont les plus touchés, la clinique en reçoit une quinzaine chaque jour. « Les nouveau-nés respirent les fumées toxiques de la décharge. Leurs yeux commencent à brûler, leur peau à gratter. Ils sont livrés à eux-mêmes et se nourrissent avec leurs mains sales. C’est logique qu’ils tombent malades », regrette le missionnaire.

Une des allées du bidonville d’Agbogbloshie – © Maxime Fourrier
Les reportages, documentaires et films sur Agbogbloshie sont légion et la décharge reste très médiatisée. « Pourtant, personne n’en profite. Certaines personnes me demandent : ‘Père, si tout le monde vient nous voir, pourquoi rien ne change ?' ». Malgré l’exposition du lieu, le père Subash s’inquiète que le gouvernement ne fasse rien pour leur venir en aide. Le prêtre se montre amer : « Malgré la croissance économique, ici, rien ne changera jamais. »
Des projets d’usine de recyclage sont évoqués pour inciter les habitants d’Agbogbloshie à lutter contre la pollution, mais il faut plus de moyens pour améliorer la santé des habitants, déjà dégradée par un environnement quasi apocalyptique. Le père Subash n’y croit pas tellement : « Certaines congrégations religieuses ont essayé d’investir de l’argent dans ce quartier, mais il n’y a aucun espoir de le récupérer. Cela les décourage de nous aider. Beaucoup d’entre eux viennent nous voir puis ne reviennent jamais. » À Agbogbloshie, il y a ceux qui ne survivent pas et ceux que le père Subash tente de sauver. Sa priorité, ce sont « ceux qui ne peuvent attendre, ceux qui ne peuvent payer, qui peuvent mourir sur le champ. » Il poursuit : « On ne peut pas soigner tout le monde. »
Roméo Van Mastrigt et Maxime Fourrier
Photo de une © Roméo Van Mastrigt
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