La Côte d’Ivoire et le Ghana ont annoncé la suspension de leurs exportations de cacao. Ils réclament la fixation d’un tarif minimum pour garantir de meilleurs revenus aux producteurs. Une démarche politique, selon l’économiste Philippe Chalmin.

© Philippe Chalmin
Les deux premiers producteurs et exportateurs mondiaux de cacao ont décidé, le 12 juin 2019, de bloquer leurs ventes. Une suspension qui concerne les fèves récoltées à partir d’octobre 2020. Le Ghana et la Côte d’Ivoire demandent la fixation d’un prix minimum de 2.600 dollars la tonne, contre 2.400 environ aujourd’hui.
Échos du Ghana a interrogé Philippe Chalmin, économiste et président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Il voit dans cette décision un coup politique.
Échos du Ghana : Que pensez-vous de l’ultimatum posé par le Ghana et la Côte d’Ivoire ?
Philippe Chalmin : Les deux pays vont devoir convaincre les géants du négoce de se plier à leur revendication et de fixer ce prix minimum. Ce sera très difficile vis-à-vis des grands acheteurs comme le groupe agroalimentaire Nestlé ou le fabricant suisse de chocolat Barry Callebaut, qui pourraient décider de se procurer leur cacao ailleurs.
La démarche des Ivoiriens et des Ghanéens est donc risquée ?
Oui, car augmenter le cours du cacao, c’est prendre le risque que les acheteurs aillent se fournir ailleurs, par exemple au Nigéria ou en Indonésie. En plus, si le Ghana et la Côte d’Ivoire ne vendent pas leurs fèves, ils devront les stocker, ce qui coûte très cher car le cacao se conserve mal dans un pays tropical.
Je ne crois pas à l’établissement d’un prix fixe minimum de 2.600 dollars. Les deux pays affirment que ce tarif permettrait de mieux rémunérer les agriculteurs. A mon avis, cette démarche est aussi électoraliste. Au Ghana, le cacao est produit par une multitude de petits exploitants. Autant d’électeurs potentiels pour l’élection présidentielle qui aura lieu l’année prochaine, en 2020.
Le Ghana est le deuxième exportateur de cacao dans le monde. Entre 700 000 et 900 000 tonnes de poudre brune y sont produites chaque année. Représente-t-elle toujours un pilier de l’économie ghanéenne ?
Les exportations du Ghana ont longtemps reposé sur le cacao, en particulier lors de la crise politique en Côte d’Ivoire dans les années 2000. Aujourd’hui, les ventes sont en recul, notamment à cause de la baisse des cours du cacao.
Mais le Ghana détient un avantage grâce au monopole public : le marché est géré par un organisme gouvernemental, le Cocoa Board (Cocobod). Le Cocobod achète l’intégralité du cacao aux producteurs et le revend, à la différence de la Côte d’Ivoire où le marché et la spéculation permettent aux distributeurs de s’enrichir.
En plus d’acheter le cacao aux petits exploitants, le Cocobod leur prête de l’argent, ce qui permet le maintien de la population rurale. Le Cocobod permet donc de préserver l’équilibre social. C’est un système hérité du passé colonial britannique.
Quel impact pourrait avoir la suspension des ventes de cacao pour le Ghana ?
Impossible de le déterminer pour le moment. Il faudra attendre la réunion du 3 juillet prochain à Abidjan (Côte d’Ivoire) pour en savoir plus. Les dirigeants des filières ivoirienne et ghanéenne doivent débattre de la mise en place de ce prix minimum.
Des pays ont-il déjà décidé de suspendre leurs ventes de cacao par le passé ? Quelles ont été les conséquences ?
Oui, la Côte d’Ivoire l’a déjà fait en 1988, sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny. 200.000 tonnes de cacao avaient alors été stockées. Mais boycotter le marché et affronter les géants du négoce a valu à la Côte d’Ivoire d’énormes pertes financières : les multinationales se sont tournées vers d’autres vendeurs et le cours du cacao a diminué de moitié. Félix Houphouët-Boigny a complètement perdu la « guerre du cacao ».
Propos recueillis par William Poutrain
Photo de une : © Pixabay
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