Le Ghana aussi a sa « start-up nation »

Porté par une économie dynamique, un solide système éducatif et un réseau dense de hubs technologiques, le Ghana est devenu un vivier de start-up. Leur dénominateur commun : faire des problèmes du pays une chance de gagner sa vie.


Ecouteurs dans les oreilles, iPhone dans la poche, latte à la main, toute la journée dans le quartier d’Osu à Accra, les jeunes espoirs de l’entrepreneuriat ghanéen pianotent sur leurs ordinateurs. Ils travaillent dans le calme feutré des bureaux de coworking, comme indifférents au trafic qui rugit dehors. Aux alentours, quelques cafés et bars à jus healthy d’inspiration américaine offrent une respiration à ces bourreaux de travail.

Lieu de vie pour la nouvelle génération d’entrepreneurs, l’effervescent Osu fait figure de porte-drapeau de la start-up nation ghanéenne. Depuis quinze ans, le petit Etat d’Afrique de l’Ouest attire les talents de la région. Les jeunes pousses y ont levé la somme record de 20 millions de dollars en 2017. A l’origine de cette notoriété, le plus dense réseau d’incubateurs de la zone ouest, deux fois plus important que ceux de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal.

A Osu, les start-up les plus prometteuses se concentrent dans l’Impact Hub. Cette couveuse de 1.400 mètres carrés aux allures de loft parisien est en pleine rénovation. Déjà équipée d’une cuisine, d’une immense terrasse et de salles de conférence, elle abritera bientôt des logements abordables pour les entrepreneurs et un réseau de fibre optique. « Nous voyons grand, glisse l’une des employées du hub, en enjambant des cartons. Nous espérons abriter une centaine de start-up supplémentaires. » Prix de ce futur cluster : un million d’euros.

A chaque problème, sa start-up

Jean, baskets et sourire confiant, Randy Caiquo attend impatiemment les nouveaux locaux. Ce Ghanéen de 27 ans, qui n’a que le bac en poche, doit beaucoup à Impact Hub. « Je n’avais ni expérience professionnelle ni carnet d’adresses ; pourtant, il ne m’a fallu que deux ans pour mettre au point mon projet », confie-t-il, en présentant fièrement sur son Mac la page d’accueil de son site Internet.

Il s’assied tous les jours à la même table, au rez-de-chaussée, près de l’entrée. Il peut ainsi guetter les entrepreneurs plus matures, à qui on a réservé l’étage. « J’essaie de leur piquer les bonnes idées », plaisante-il en faisant un clin d’œil. Randy Caiquo a fondé Crowdafrica, une plateforme de crowdfunding destinée à collecter des fonds pour les grands malades. « Un jour ma mère m’a demandé en urgence 20 cédis [3 euros] pour aider un homme souffrant à entrer à l’hôpital, raconte-il. Malheureusement, je n’avais pas d’argent sur moi… Une semaine plus tard, ce monsieur était mort. J’ai lancé Crowdafrica pour que jamais cela ne se reproduise. »

L’incubateur Impact Hub accueille près de 200 entrepreneurs. – © Marie Desrumaux

 

Pour beaucoup d’entrepreneurs ghanéens, les défaillances de l’État sont vues comme autant d’opportunités. Que ce soit pour pallier le manque criant d’infrastructures universitaires, créer des adresses postales aux quatre millions d’habitants qui n’en ont pas, accompagner les 15 millions d’agriculteurs dans leur transformation numérique ou améliorer la collecte des déchets… A chaque problème, sa start-up.

Hors Osu, East Legon tire aussi son épingle du jeu. Le quartier du nord de la capitale concentre les plus grandes écoles d’informatique du pays et la plus prestigieuse des couveuses du continent : la Meltwater entrepreneurial school of technology (Mest). Créé en 2008, le campus se targue d’être à l’origine de success stories internationales. Il a notamment hébergé Dropifi, qui a lancé un formulaire web de contact intelligent à destination des entreprises.

Le Ghana, un point de départ pour toutes les start-up

« Nous avons coaché la première entreprise africaine à être entrée dans le programme d’accélération de la Silicon Valley », se fécilite Ashwin Ravichandran, directeur du hub. Dans les couloirs de l’incubateur, l’équipe de Dropifi pose tout sourire sur des photos accrochées aux murs. Cette start-up est devenue un modèle de réussite pour les millennials à l’âme entrepreneuriale.

A la fois école de code et accélérateur, le Mest accompagne ses jeunes prodiges pendant deux ans. Il leur dispense une formation axée sur le développement informatique et la stratégie de communication, et leur attribue une bourse de 90.000 euros. « Au Ghana, les entrepreneurs ne peuvent pas emprunter dans les banques car les taux d’intérêt dépassent souvent les 25%, explique Ashwin Ravichandran. Donc nous nous chargeons de leur trouver les fonds nécessaires. » Ce soutien financier oblige le Mest à être très sélectif. Il ne retient chaque année qu’une soixantaine de projets, sur plusieurs milliers de candidatures.

Après son installation au Ghana en 2008, le Mest s’est depuis implanté à Lagos (Nigéria), à Nairobi (Kenya) et à Cape Town (Afrique du Sud). – © Raphaël Cann

 

Dans ce hub, les diplômés de finance et de droit sont légion. « Un des grands atouts du Ghana est son capital humain, la qualité de l’éducation », rappelle William Baah-Boateng directeur du département d’économie de l’Université du Ghana. Mais la couveuse attire aussi les profils les plus prometteurs des pays voisins. Pour l’Ivoirien Claver Nambégué Coulibaly, qui a fondé l’application de gestion de comptes Damansah après son master en finance, intégrer ce programme était une opportunité inespérée.

« Le Ghana est le point de départ pour toutes les start-up africaines, affirme le trentenaire. C’est notamment un pays d’implantation stratégique car on y parle l’anglais, ce qui facilite l’internationalisation des jeunes entreprises. » Mieux, le Ghana jouit d’une stabilité économique et politique inégalée, selon William Baah-Boateng. « C’est le pays le plus sûr d’Afrique de l’Ouest, souligne-t-il. Il peut aussi compter sur la plus forte croissance économique, une faible inflation et le développement rapide du secteur des nouvelles technologies. »

Un moyen de s’en sortir

Accra, nouvelle Silicon Valley d’Afrique ? Le grand récit de la « start-up nation » ne doit pas masquer la réalité socio-économique du Ghana. Dans ce pays où le salaire mensuel moyen avoisine les 245 euros, se mettre à son compte est perçu comme un moyen de s’en sortir. « Au Ghana, si vous êtes employé, vous ne gagnerez jamais beaucoup d’argent », confie Steven Steele-Dadzie, fondateur de Dart to bright, un service en ligne de blanchisserie à domicile.

Lui qui n’a pas de diplôme et peine pour l’heure à décoller, rêve de réussir aussi brillamment qu’Osei Kwame Despite. De vendeur de cassettes à la sauvette, ce Ghanéen est devenu un homme d’affaires à la tête des plus grandes radios du pays. Un happy end auquel Steven Steele-Dadzie ne voit qu’une explication : « Pour réussir sa vie ici, il faut être son propre patron. »

 

Les futures licornes ghanéennes

  • Dropifi

Créé en 2011, Dropifi est un petit outil numérique qui permet aux entreprises de mieux analyser les messages renvoyés depuis les formulaires de contact en ligne. Incubée d’abord au M à Accra, la start-up de David Osei a rejoint deux ans plus tard le très réputé programme de la Silicon Valley, en Californie. C’est la première entreprise africaine à avoir traversé ainsi l’Atlantique.

  •   mPharma

Après quatre ans d’études aux Etats-Unis, Grégory Rockson est revenu au Ghana pour lancer mPharma en 2013. C’est la plus grande plateforme pharmaceutique des pays émergents. Elle regroupe à la fois les patients, les hôpitaux, les pharmacies et les professionnels de santé, de façon à ce que les utilisateurs puissent connaître en temps réel la disponibilité des médicaments.

  • Hubtel
Alex Bram, PDG de Hubtel, a inventé en 2005 le tout premier service mobile de relation clients. Celui-ci permet aux entreprises de communiquer avec les particuliers par SMS. Alex Bram aime rappeler que, lorsqu’il a fondé sa société, il n’avait que 15 cédis (2,50 euros) en poche. Aujourd’hui, il réalise plus de 20 millions de dollars de chiffre d’affaires.

 

Romane Lizée

Photo : © Marie Desrumeaux

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