Dans la banlieue d’Accra, Jeffrey table sur les pneus

Depuis quatre ans, Jeffrey Kwabena Yeboah fabrique de petits meubles à partir de pneus usagés. Une success story écolo, qui permet de recycler ces objets plutôt que de les laisser dans les décharges, où leur combustion dégage des fumées toxiques.

Entourez un pneu de cordages fermement serrés. Recouvrez-le d’une plaque de verre. Et vous obtenez une table basse. C’est le concept original qui a conduit Jeffrey Kwabena Yeboah à ouvrir un atelier de fabrication de meubles. Trouver des pneus usagés n’a rien de difficile : « Les casses automobiles et les garages en regorgent. Certains en accumulent une cinquantaine chaque jour », affirme le jeune Ghanéen.

L’idée lui est venue lorsqu’il était étudiant en économie, à l’âge de 21 ans. « À l’époque, je faisais de petits travaux de peinture et de décoration pour financer mes études. Un de mes clients voulait une table. J’ai vu un tas de pneus usagés brûler et j’ai trouvé ça dommage. Je me suis dit que je pourrais peut-être les recycler pour en faire cette table », explique l’entrepreneur.

Jeffrey Kwabena Yeboah utilise des cordes qui servent d’habitude à attacher les animaux.

Du « Made in Ghana »

Mais un pneu n’est pas très esthétique et, surtout, peu résistant. « Au bout de trois ou quatre mois, il ne tient plus, il faut le renforcer », constate Jeffrey Kwabena Yeboah. Il décide alors d’utiliser le type de cordage qui sert principalement à tirer les chèvres et les moutons. « Ces cordes sont fabriquées au Ghana, à partir d’une plante locale. Avec ça, le pneu est maintenu et c’est plus joli ! », se félicite-t-il. Pour faire tenir ces cordes, il utilise de la glue. Quant aux pieds de la table, ils sont en bois.

Après avoir terminé ses études et être passé par un incubateur, le jeune homme s’est lancé dans la création de son entreprise. Il a notamment reçu l’aide d’un programme des Nations Unies pour l’environnement, Switch Africa Green, séduit par cette initiative de recyclage.

Le pneu est entouré de cordages pour devenir un tabouret ou une table basse.

Entièrement fabriquée à la main, une grande table basse nécessite dix heures de travail. Elle est ensuite vendue 450 cédis, soit environ 75 euros. Le petit modèle, lui, coûte 200 cédis (33 euros). Cette somme n’est pas à la portée de toutes les bourses ghanéennes. « Pour baisser les prix, il faudrait augmenter la production, donc utiliser des machines, estime Jeffrey Kwabena Yeboah. Pour l’instant je travaille sans aucune machine, uniquement avec mes deux employés. »

Aujourd’hui, l’artisan vend une trentaine de tables par mois, 800 depuis ses débuts. « Je ne peux pas me plaindre, je vis bien pour le moment », reconnaît l’entrepreneur de 25 ans. Ne possédant pas encore de boutique, il vend ses produits principalement sur internet et se fait connaître via les réseaux sociaux.

Une conscience écolo

Jeffrey Kwabena Yeboah l’assure, ce qui compte avant tout pour lui, c’est l’aspect environnemental de son entreprise. Elle réduit la quantité de déchets, un problème majeur à Accra. « En Afrique on ne fait pas de tri sélectif, il n’y a pas encore de prise de conscience environnementale », regrette le jeune homme. Cette conscience, ses clients l’ont acquise. « Jeunes ou vieux, riches ou issus de la classe moyenne, ils ont en commun une fibre écologique », constate-t-il. L’entrepreneur insiste auprès de chaque acheteur : « Il y a tout un récit autour de mes produits, je ne vends pas qu’un meuble. »

Cette table basse est vendue 200 cédis (33 euros).

C’est une success story pour ce jeune homme qui revient de loin. Orphelin de mère, il grandit avec son père avant que celui-ci ne perde son emploi et l’abandonne. « Il ne voulait plus s’occuper de moi, j’ai dû fuir, je me suis retrouvé à la rue, confie-t-il. Heureusement un ami m’a hébergé chez lui. On dormait dans le même lit. Il était même obligé de me prêter ses vêtements, beaucoup trop grands pour moi. »

Malgré tout, Jeffrey Kwabena Yeboah est parvenu à poursuivre ses études et à aller à l’université, avec l’aide d’un oncle qui lui envoyait un peu d’argent. Il a aussi fait preuve de beaucoup de débrouille : « Je revendais des vêtements et j’achetais des tickets de concert quand les prix étaient bas, pour les revendre au prix fort à la dernière minute », se souvient-il.

A présent, l’entrepreneur ghanéen espère développer son affaire et vendre ses meubles à l’étranger. Il tient aussi à transmettre son savoir faire : « Je voudrais enseigner ce que je fais au Togo, au Mali et même au Vietnam. »

Thibault Franceschet et Mégane Arnaud

Photos : © Mégane Arnaud

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