Comment aborder le métier de journaliste économique dans un pays en pleine croissance ? Les Echos du Ghana se sont entretenus avec l’un des visages de la chaîne publique nationale.

Sani Abdul-Rahman GBC Ghana Reporter-in-Chief Economics – © @thaani_djato sur Twitter
Sani Abdul-Rahman est rédacteur en chef du service « économie » de la GBC (Ghana Broadcasting Corporation), groupe audiovisuel public du Ghana. Originaire de Kumasi, la deuxième ville du pays, le journaliste y a fait ses premières armes avant de rejoindre Accra.
Échos du Ghana : Le Ghana passe pour un pays dynamique à travers le monde grâce à sa forte croissance. Dans ce contexte, est-ce excitant de traiter de l’économie ?
Sani Abdul-Rahman : Nous avons en effet d’excellents résultats macroéconomiques, mais au niveau microéconomique de vrais problèmes se posent pour le consommateur. Il y a une vraie déconnexion entre la croissance du PIB et ce qu’on constate sur le terrain. Tous mes amis et les gens que je rencontre me le disent : la vie est de plus en plus chère, alors que les revenus n’augmentent pas ! Le problème, c’est que nous importons près de 90% des produits manufacturés que nous consommons dans le pays. Le gouvernement doit attirer plus d’IDE (investissements directs à l’étranger), bâtir des industries manufacturières et réformer le secteur public. Le Ghana doit parvenir à générer une croissance soutenable qui réconcilie l’économie et la société civile.
80% de la population ghanéenne vit de l’économie informelle. Comment faire pour traiter à la fois de l’activité d’une grande compagnie pétrolière et de femmes qui vendent des produits dans la rue ?
Notre économie est largement en voie de développement. Le gouvernement essaie d’accélérer les réformes, notamment en profitant de la « digitalisation » pour tendre vers une économie structurée. Le défi majeur est d’arriver à une taxation plus systématique, y compris des très petites entreprises. Désormais, il est nécessaire d’avoir un identifiant fiscal pour obtenir une carte d’identité ou un prêt auprès d’une banque. Un État avec des revenus financiers larges, c’est une économie qui fonctionne mieux.
Le Ghana occupe la 2e place du classement sur la liberté de la presse en Afrique et la 27e position mondiale, selon Reporters sans Frontières. Rencontrez-vous néanmoins des difficultés lorsque vous réalisez vos reportages ?
La difficulté la plus récente que j’ai rencontrée concernait un sujet sur le prix du pétrole il y a quelques mois. En 2018, le prix du baril avait fortement augmenté au niveau international et, au même moment, le cédi (monnaie du Ghana) avait perdu de sa valeur par rapport au dollar et à l’euro, ce qui a fait bondir le prix à la pompe. Le gouvernement a alors introduit un système de levier de stabilisation des prix pour limiter les répercussions sur les consommateurs. Or, quand le prix international du baril a baissé au deuxième semestre, j’ai voulu interviewer le ministre de l’Energie. Je voulais lui demander pourquoi le mécanisme était toujours en place et ne permettait pas de baisser le prix à la station-essence. Je ne compte plus les multiples reports d’interview et les excuses de ses assistants. J’attends toujours la réponse…
Est-ce particulièrement difficile de traiter de certains sujets avec des grandes compagnies qui brassent des millions de cédis ?
Le Ghana a une économie essentiellement basée sur les ressources naturelles, comme l’or, le cacao, la bauxite… Le gouvernement le sait, il a un grand intérêt à ce que les entreprises qui exploitent ces matières prospèrent. En tant que journalistes sur le service public, nous savons que nous pouvons nuire aux revenus selon le contenu de notre reportage. Ainsi, nous sommes particulièrement vigilants à ce que nous écrivons et disons. C’est bien le gouvernement qui m’emploie et paie mon salaire, mais j’essaie de rester le plus objectif possible. J’ai eu des difficultés à obtenir des informations de la Bank of Ghana, notre banque centrale, gérée par des hommes proches de l’opposition au président actuel, soupçonnée de laisser des banques en faillite et de négligence dans son rôle de régulateur.
Quel que soit le pays, les journalistes économiques peuvent être l’objet de pressions diverses. Qu’en est-il de votre côté ?
Oh oui, bien sûr qu’on a fait pression sur moi ! (rires) Des représentants d’entreprises ou du gouvernement ont essayé de me diriger dans un sens opposé à mon angle de reportage, ou ont refusé de répondre à mes questions. Quand vous faîtes un reportage sur un commerce, ils essaient d’acheter votre conscience. Mais quand on a une éthique et qu’on reste concentré sur l’histoire qu’on veut raconter au public, on est capable de résister, grâce à Dieu qui est si bon.
Propos recueillis par Yann Fournier-Passard
Photo de une : © Inès Pons-Teixeira
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