Dans cette forêt tropicale au nord d’Accra, des gisements de bauxite attisent la colère. Le gouvernement y voit une manne financière alors que militants et populations locales s’inquiètent des conséquences sur l’environnement.
La terre ocre, chargée de chaleur et de parfums capiteux, colle aux semelles. Quelques heures plus tôt, il a plu. Le sol n’est que glaise rouge dans laquelle le pied s’enfonce, mal assuré. Sous les paillettes de gouttelettes, la forêt d’Atewa, située à 100 kilomètres au nord de la capitale, se révèle luxuriante. Éclairé par les rayons du soleil revenu, le vert profond de la canopée tropicale semble étendre ses pigments jusqu’aux cieux. Mais par terre, les stigmates sont là. Les traces de pneus des bulldozers, chargés d’arracher les végétaux, balafrent le sol.
« Cette trouée dans les arbres, qui forme un chemin vers le sommet de la colline, n’est pas normale. Le gouvernement a commencé à raser les plantes pour exploiter la bauxite », tance, en balayant du bras la forêt mutilée devant lui, Agyei Ransford Kofi, membre d’A Rocha Ghana. Cette ONG lutte sans relâche contre l’extraction de bauxite prévue par l’Etat.
Deux milliards contre la bauxite
Très convoitée, la bauxite, cette roche qui donne sa teinte pourpre à la terre d’Atewa, est riche en alumine, un composant essentiel dans la production d’aluminium. En juillet 2018, le gouvernement ghanéen a signé un accord commercial avec la société chinoise Sinohydro. En échange de bauxite raffinée, les Chinois se sont engagés à verser deux milliards de dollars au Ghana, censés aider à la construction d’infrastructures – routes, écoles, hôpitaux, etc. Pour l’heure, l’exploitation des gisements n’a pas encore commencé, l’État diligente des études afin d’estimer la quantité de bauxite présente dans les sols.

La bauxite intéresse particulièrement la Chine, premier producteur mondial d’aluminium. © Mégane Arnaud
Depuis un an, les défenseurs de l’environnement protestent avec vigueur. « La forêt d’Atewa est une réserve naturelle, expose Daryl Bosu, directeur national d’A Rocha Ghana. C’est inscrit dans la loi. » Les murs de son local d’Accra sont émaillés d’affiches aux slogans sans ambiguïté : « Sauvons Atewa », « Protégeons les pangolins ». Accoudé à son bureau, l’homme au regard vif argumente avec un sourire : « Cette forêt contient un écosystème primordial pour la biodiversité. Parmi les espèces présentes dans cette réserve, plus de 100 sont en danger, des singes, des papillons rares, des oiseaux… »
La forêt permet aussi de réguler le climat. « Les arbres absorbent le dioxyde de carbone, responsable de l’effet de serre et du réchauffement climatique », ajoute le convivial Daryl Bosu. Pour extraire la bauxite présente dans le sol au faîte des collines, les compagnies devront raser les arbres, entraînant ainsi l’augmentation des températures dans la région.

Les bulldozers ont commencé à arracher les arbres pour tracer une piste jusqu’aux gisements.
© Mégane Arnaud
Le gouvernement promet 100.000 emplois
À l’automne dernier, pendant six jours, les militants ont marché depuis Kyebi, une ville à l’orée de la forêt, jusqu’à Accra afin d’apporter au président ghanéen, Nana Afuko-Addo, originaire de la région d’Atewa, une pétition pour œuvrer à la conservation de la forêt. Mais rien n’y fait. « Nous ne pouvons pas, à notre époque moderne, nous permettre d’hésiter à valoriser nos ressources naturelles de bauxite, a déclaré le chef de l’État. Nous devons accélérer notre développement industriel et nos activités de transformation. »
Le gouvernement espère ainsi générer de nombreux emplois avec cette nouvelle exploitation. Le ministre d’État, Yaw Osafo-Maafo, estime qu’environ 100.000 postes seront créés. « Un argument purement électoraliste, selon Daryl Bosu. En réalité, l’extraction de bauxite engendrera très peu de travail. Tout est mécanisé, les machines font tout. Quand on regarde les autres mines, elles emploient très peu de gens, et certainement pas des locaux, qui sont essentiellement des fermiers. »
Un danger pour l’eau
Bananes plantains, cacao, manioc, les champs agricoles s’étendent en lisière de forêt. Dans l’un des villages au bord d’Atewa, constitué de terre battue, de ciel azur et de maisons en tôle, Emmanuel Akyeamor Taby, vieux sage aux gestes amples, est très inquiet. Le président de l’assemblée locale craint les effets délétères de l’exploitation de la bauxite. « La forêt est une réserve d’eau potable très importante, explique-t-il. Trois grandes rivières y prennent leur source, Densu, Ayensu et Birzim, ainsi que 120 autres ruisseaux. Cette eau alimente cinq millions de Ghanéens. »

Emmanuel Akyeamor Taby dans son village de 4 000 âmes. © Mégane Arnaud
Cinquante-trois communautés vivent autour de la jungle. « Beaucoup d’entre elles n’ont pas l’eau courante, elles dépendent au quotidien des rivières sylvestres, pour cuisiner ou se laver », continue le représentant local du gouvernement élu. Pour extraire l’alumine de la bauxite, la roche doit être dissoute avec de la soude. L’exploitation risque donc d’entraîner une pollution des eaux et des sols, à cause de la production de boues rouges.
« L’eau et les sols se chargent en métaux lourds très toxiques », prévient Emmanuel Akyeamor Taby, installé négligemment dans son canapé élimé, juste en-dessous d’un poster de Jésus. « Dans les régions où la bauxite est exploitée, les médecins recommandent de ne pas utiliser l’eau de pluie, car elle est contaminée. Les plantations deviennent nocives et tuent les gens peu à peu. Les conséquences sanitaires sont importantes. Nous craignons de nombreuses maladies. » L’impact économique pourrait également être négatif : « 90 à 95% des habitants autour de la forêt sont agriculteurs. »
« On est capable de bloquer la forêt s’il le faut »
Malgré les promesses floues du gouvernement, qui assure garantir la protection de l’eau, militants et habitants persistent. « On souhaite organiser prochainement une manifestation à Kyebi, s’exclame Agyei Ransford Kofi, entre les lianes des arbres à caoutchouc. On attend des milliers de gens. » A Rocha Ghana prévoit également d’intenter une action en justice contre le gouvernement. « Raser la réserve naturelle d’Atewa pour exploiter la bauxite est contraire aux règles de l’International Finance Corporation, un organisme rattaché à la Banque mondiale, auquel le Ghana a adhéré, tonne Daryl Bosu derrière son bureau. Nous allons donc attaquer, mais l’Etat n’est pas très inquiet. »
Certains habitants se tiennent prêts. Emmanuel Akyeamor Taby jure avec solennité : « On n’arrive pas encore à se faire entendre, mais même si c’est difficile, on persévère. On est capables de bloquer l’accès à la forêt s’il le faut. Il en va de notre survie. » Aujourd’hui, les arbres centenaires d’Atewa narguent toujours les dieux. Pour combien de temps encore ?
Mégane Arnaud et Thibault Franceschet
Photo de une : © Mégane Arnaud
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