Leti Arts : les pionniers du jeu vidéo africain

Le marché des jeux vidéo est inondé de produits américains, japonais et européens. À Accra, Leti Arts, l’un des seuls studios de développement d’Afrique de l’Ouest, veut changer la donne.


Sous une fine pluie, des chèvres se promènent le long d’un chemin de terre. Des abris de tôles et des maisons se font face. Derrière ces murs de béton blancs, des passionnés de jeux vidéo s’affairent sur leurs ordinateurs, éparpillés dans de vastes salles qui paraissent bien vides. Aucun logo n’indique que ce bâtiment abrite Leti Arts, l’un des seuls studios de développement d’Afrique de l’Ouest et le plus ancien.

L’un des personnages de Leti Arts – © Raphaël Cann

Les murs sont couverts de posters et d’affiches représentant leurs personnages. Ces illustrations reprennent l’esthétique des super-héros américains, mais les tenues sont d’inspiration africaine. Eyram Tawia, chemise bleue rentrée dans le pantalon, résume sa démarche : « J’ai fondé ce studio en 2009 pour retranscrire l’histoire et les valeurs du continent. » L’entrepreneur de 35 ans est biberonné aux jeux vidéo et aux bandes dessinées américaines depuis l’enfance. Invité à de nombreux salons dédiés aux nouvelles technologies, il a l’habitude de présenter son projet. Son discours est bien rodé. « Nous avons l’intention de lancer l’industrie en Afrique », clame-t-il d’une voix assurée.

L’un des salariés produit un jeu promotionnel pour l’opérateur MTN – © Raphaël Cann

 

Son équipe de huit salariés, tous ghanéens, planchent sur différents projets. L’un d’eux réalise les animations d’un jeu mobile promotionnel basé sur une émission de quiz pour l’opérateur MTN. Ces commandes locales représentent l’essentiel des revenus du studio, incapable pour le moment de vivre de ses propres productions. Depuis trois ans, la somme, soit près de 82.000 dollars, est entièrement réinvestie dans son principal chantier : Africa’s Legend Reawakening. « Au Ghana, les gens ont tous un téléphone, mais peu d’entre eux ont un ordinateur, précise Eyram Tawia, dans son large bureau où trônent de nombreux prix. Pour le rendre accessible à tous, notre jeu sera disponible sur Facebook et Whatsapp, mais aussi par SMS pour ceux qui n’ont pas de connexion internet. »

Le fonctionnement du jeu paraît rudimentaire. Il s’agit de textes offrant plusieurs options, à la manière d’un livre dont vous êtes le héros. Le système de combat entre les joueurs repose sur des mini-jeux, comme des échecs, des questions de culture générale ou le morpion. Selon le support, l’interface est plus ou moins évoluée. En se connectant sur leurs ordinateurs, les joueurs auront même accès à des animations 3D.

Po Sagala, le héros malien d’Africa’s Legends – © Raphaël Cann

 

Avec ce projet, le studio espère enfin décoller à l’international après avoir essuyé des revers commerciaux à ses débuts. Sa première réalisation, Iwarrior, mettait le joueur dans la peau d’un membre d’une tribu défendant son village contre des hyènes. Vendu trois dollars, le jeu n’a pas été suffisamment téléchargé pour rapporter de l’argent. « C’était assez dérisoire, mais ça nous a donné de la visibilité et de la reconnaissance. Nous étions des pionniers », se rappelle-t-il. Cette expérience a confirmé sa stratégie : ancrer ses jeux en Afrique pour séduire.

Les vilains, pirates, braconniers et kidnappeurs

Dans une pièce qu’il partage avec deux collègues, Ravi peaufine le design des personnages sur sa tablette graphique. Sur son écran s’affiche le dessin d’un homme chauve, arborant une cape bleue. « Il s’agit de Po Sagala, notre héros malien. C’est un génie diabolique qui vient de la tribu Dogon. » Une quinzaine de personnages sont disponibles, tous liés à un pays différent. A l’image de Spiderman, qui combat les gangs new-yorkais, les protagonistes d’Africa’s Legends traquent les chefs d’État corrompus, des pirates ou des kidnappeurs.

Comme Ravi, la plupart des employés sont autodidactes. « Quand je faisais mes études de dessin, jamais je n’aurais imaginé pouvoir travailler dans les jeux vidéo ici », admet le jeune homme d’une voix timide. Paul, en charge de la communication, lève les yeux de sa barquette de riz et poulet : « Et puis, on parle de notre culture. Ça nous permet d’influer sur la vision qu’ont les gens de l’Afrique. »

Sur les réseaux sociaux, plus de 5.000 internautes suivent l’actualité du studio. Des Ghanéens, mais aussi des Nigérians, des Kenyans et des membres de la diaspora à l’étranger. « Il n’y a pas besoin de matériel pour profiter de notre jeu et notre histoire est riche. Nous pouvons conquérir le continent », clame Eyram Tawia. À terme, il espère un demi-million de joueurs. Aucune date de sortie n’est prévue.

Pour le moment, le studio recherche un éditeur afin de déployer son projet. « Beaucoup de gens sont intéressés », assure l’entrepreneur avec un large sourire. Il rêve de voir son jeu sur Xbox, la console de Microsoft. Un souhait bientôt exaucé ? « Des discussions sont en cours, vous en saurez plus après l’été. »

Raphaël Cann

Photo de une : Eyram Tawia, le fondateur de Leti Arts – © Raphaël Cann

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